Essai de philosophie musicale dans la
théologie de l'art

Résumé du cours de 2h du 15 mars 2012 – Institut Catholique de Paris
Epaminondas Chiriacopol  chiriacopol@free.fr

   De la difficulté d’aborder l’art philosophiquement avec l’instrumentaire de la raison car il y a une certaine incompatibilité entre la connaissance artistique et la connaissance scientifique dont la raison fait sa priorité.
Les deux domaines sont différents tant par leur fonctionnement que par leur finalité qui est une vérité vérifiable pour la science et l’expression d’une relation personnelle avec le monde pour l’artiste.
La raison, son vocabulaire et ses systèmes relativement binaires, déductifs et inductifs appelant à des syllogismes, analyses, comparaisons, synthèses dont la formalisation remonte à Aristote et même avant, chez les présocratiques, est peu adaptée pour expliquer l’intuition, l’empathie, la foi, les révélations et autres approches métaphysiques constituant le mystère de la démarche artistique - d’ailleurs, de nouvelles formes de connaissance et d’expression moins réductrices seront utiles pour des rendus plus accessibles concernant la physique quantique, l’astrophysique…
Le commentaire des résultats de la connaissance artistique, l’œuvre d’art, avec des mots et selon la grammaire habituelle reste, quoi que nécessaire, une démarche inadéquate et très approximative, l’idéal étant une œuvre artistique évoquant la précédente.
Néanmoins, en suivant les coutumes et dans le souci d’éviter toute forme d’hermétisme, c’est la voie de la raison, la plus suivie et un vocabulaire habituel où des mots : analogue - parallèle - similaire seront considérés, hors d’usage philosophique spécifique, comme synonymes, qui seront employés.

   Les imposés philosophiques d’une tradition gréco-germanique et d’une conception personnelle fondée sur l’universalité et la transversalité des principes ordonnateurs du monde articulent l’exposé autour de :
1) l’ontologie – ancrage de la musique dans la réalité objective et subjective, les postes dans la musique et le voyage identitaire, l’information musicale ;
2) l’axiologie – le rôle  de la musique, la place de l’homme et la Divinité.
A observer la différence entre les points de vue de l’esthétique qui tient d’une culture géographique et historique, des modes, de l’éducation, des créations ciblées : commandes événementielles, embellissement et personnalisation, but idéologique, sublimation de la réalité…et la philosophie dont le discours est conditionné par son universalité, unité et une vérité le moins relative possible.
L’intimité de la musique, en deuxième partie du cours, émaillée par des extraits musicaux, évoque sommairement le phénomène musical à partir de sa base et fonctionnement somatique et psycho-acoustique et visite l’histoire de la musique à travers la relation époque culturelle-idée dominante-forme musicale correspondante (vue esthétique).

    Les extraits musicaux :
1) «Dimensions» film 3’ images du cosmos par la NASA – montage et musique originale E.Chiriacopol;  -  2) «Isihia» film 3’ images «Concours de chant sacré» et «Le chant du monde» de Lurçat, montage G.Vu et E.Chiriacopol, musique originale E.Chiriacopol;  - 3) «Ainsi parla Zarathoustra» musique R.Strauss 4’;
2ème partie
4) «Primitif» musique E.Chiriacopol 1’30’’;   -  5) «Partitions» diaporama E.Chiriacopol 1’ ;  - 
6) «Miserere» musique C.Allegri 3’;  -  7) «L’hymne de chérubins» lit.de St Jean Chrysostome 4’ 
Enregistrement du cours bientôt disponible sur You tube : « kiriacopol »
Commentaires, appuis et hypothèses dans le développement du cours :
Ontologie et ancrage de la musique dans la réalité objective
Correspondances possibles et hypothétiques entre la musique et la réalité objective: le son, matière de base de la musique est un phénomène vibratoire que l’on trouve au niveau quantique de la matière = l’ensemble des particules : électrons, protons… « vibrent » à la confluence des diverses interactions magnétiques, gravitationnelles… et, peut-être, pour créer et « assurer » leur l’espace ; le silence = élément parfaitement immobile, avec une expression thermique = 0 absolu, donc au delà de la constante admise en physique, possible définition de l’inexistence ; la musique tonale, miroir de la gravitation et de l’évolution des planètes et satellites dans les systèmes solaires; la polyphonie (mélodies pouvant être indépendantes superposées) et l’hypothèse des « multivers » (actualité) et de la coexistence des mondes parallèles : matière, esprit…(Platon); l’entropie du thème, du motif musical qui passe par le «moment dissipatif» (cher à la cybernétique) lors du développement dans une sonate, concerto… pour finir dans «le trou noir» de l’accord final qui poli et «aspire» toutes les aspérités et les événements sonores précédentes ; la musique phénomène temporel, question légitime : c’est quoi le temps ? Réponse de la physique actuelle : la 4ème dimension qui accompagne les trois dimensions de l’espace en subissant « des déformations incessantes » dues à la gravitation ; et si le temps n’est pas une dimension mais l’expression de cette matière noire qui nous échappe mais qui est omniprésente et dans laquelle, comme dans le silence qui précède, coexiste et suit la musique, tout se fonde dans un mélange de fins et d’origines ? si le temps, expression parmi d’autres de la matière noire, est chargé d’une «négation» universelle porteuse de la tendance «du désordre» dans l’ensemble des structures matérielles ? Aucune structure ne lui résiste. Une autre similitude, la symétrie de certaines formes musicales, exemple : les mélodies structurées « question-réponse », symétrie qui nous amènera à se poser la question d’une force aspiratrice du « néant », du «rien» lors du Big-bang car l’explosion, génératrice de l’inflation cosmique, devait être accompagnée d’une « énergie aspiratrice » caractérisant peut-être la matière noire et qui est de plus en plus efficace à fur et à mesure que la densité de l’univers diminue par l’augmentation de son étendue expliquant ainsi l’accélération dans l’éloignement de systèmes solaires sans l’intervention d’une nouvelle inconnue « l’énergie noire ». Il est intéressant de penser que simultanément, toujours sous l’emprise de la symétrie, il à été crée le « contre univers », le rien ou le néant, qui sert de contenant au contenu existant, Ainsi, nous assistons à un jeu binaire où les événements, les existentiels s’échangent, passent (Pâques) d’un univers à l’autre à travers la « mort » qui n’est qu’une modification de sens dans l’évolution d’un système qui, en alternance, change d’identité en « épousant » le sens contraire du nouvel univers ; ces univers coexistent dans l’alternance et la simultanéité, ils se chargent réciproquement d’énergie et de matière obligés par le  principe, « préexistant » énoncé par la thermodynamique de conservation absolue de l’énergie dans l’ensemble des processus, tels la création et la dissolution. (Amon, divinité égyptienne, avait dit en pensant aux deux mondes et sur l’emprise de la probabilité : je suis celui qui est et qui n’est pas).

On peut observer la préfiguration de la fin et son approche dans le début d’une pièce musicale… Revenons à l’ordre du jour en précisant l’aspect trinitaire de la musique qui suppose : le compositeur, les interprètes et le public avec quelques possibilités combinatoires dont la plus « triste » est celle qui attribue les trois rôles à une seule et unique personne. Il y a un phénomène exceptionnel qui peut traverser cette trinité lorsque la qualité de l’œuvre, de l’interprète, du public et du « moment » s’accordent pour envoyer des centaines, voire des milliers de personnes dans un «voyage identitaire» où on découvre à travers le vécu un ego individuel et collectif que l’on a peu connu et que l’on voudrait garder, (on réécoute), on s’approprie l’âme et l’esprit du compositeur et de l’interprète, on coexiste dans des espace-temps originaux dans les secrets inexprimables de l’existence, d’où « la drogue musicale » qui en manquant aux vieux chanteurs les plonge assez souvent dans le désarroi. Bien sur, on peut considérer aussi dans une vision platonicienne qu’à travers la musique instrumentale, structures énergétiques pures, on saisit et on vit dans l’univers spirituel qui précède et organise la matière ; le voyage identitaire est parfois source de solitude et d’abandon de la vie courante car lors du travail, on voyage seul dans les endroits proposés par la musique dont l’objet ultime est l’essence du monde, essence dont la perception ineffable est aussi inconsciente qu’envoutante. Pour certains, ce voyage devient une addiction irréversible, une configuration particulière du psychisme, un puits intérieur qui communique avec les structures intimes de l’univers «condensées dans l’être» et qu’il faut remplir sans cesse car le silence et l’inexistence aspirent la création en s’adaptant chaque fois aux dimensions proposées.

L’Axiologie
Il est intéressant de penser que le psychisme constitue l’interface entre les réalités subjectives et objectives. Nous sommes de la matière réfléchissante des lumières et des réalités connues et inconnues. Dans nos processus psychiques  le temps peut prendre tous les sens : on l’arrête = le présent, on le projette devant = le futur ou bien on le fait revenir = le souvenir. Mais de quel temps s’agit-il et comment est-il confiné ? En tout cas la musique l’utilise dans tous les sens car sa dialectique en résulte.
En laissant de côté les aspects les plus évidents de la musique qui, produite par l’homme, doit lui servir comme thérapie et divertissement, mémoire et porteuse d’avoirs et de messages culturels, moyen d’éducation individuelle et sociale, communication subtile avec les impondérables de l’univers… regardons quelques aspects cachés dans la profondeur de notre nature matérielle.
On fait de la musique, comme beaucoup d’autres choses, pour suivre le sens le plus décelable de l’univers qui est de créer de l’espace et aussi du temps – cette tendance, archaïque et primitive dont on a peu conscience, résulte de l’observation de « l’inflation cosmique », cette vertigineuse expansion de la matière. D’ailleurs, on peut envisager à travers la pratique musicale, une « multiplication » de soi plus durable pour le compositeur et plus éphémère pour l’interprète et le public qui peuvent « vivre plusieurs vies dans la peau d’un autre ». Les traces d’un vécu musical peuvent enrichir et configurer notre « intérieur » psychique.
Deux caractéristiques de la musique : l’effet émotionnel et son invisibilité l’ont située à côté de la fumée et des parfums parmi les principaux moyens de communication avec la Divinité qui est devenue pendant des siècles le destinataire privilégié des musiciens et des artistes. Comme pour le temps, on se pose la question de l’existence du Divin ? ! Au-delà de la révélation, je crois qu’il existe car notre nature matérielle marquée par une certaine finitude ne nous permet pas d’imaginer l’inexistence et l’impossible. Tout ce que notre esprit peut envisager, rêver, fantasmer, existe forcement et non pas que dans ses constituants mais aussi comme totalité dans la réalité subjective que l’on peut parfois matérialiser, et dans des mondes virtuels qui nous échappent mais que l’esprit découvre sans l’empreinte de la conscience. Constatant l’omniprésence du Divin dans toutes les civilisations, sans exception, et « s’il nous a créé à son image » « il s’est vu » d’une certaine façon en nous, car nous l’avons réfléchi et on a dû garder la mémoire du miroir. Le traumatisme de la création a dû être plus fort que celui de la naissance et pour nous préserver de revivre l’exil du monde virtuel dans le monde matériel, l’accès à ce souvenir nous est interdit par l’instinct de survie, censeur rassurant de l’existence. Le concept de perfection traverse presque toutes les œuvres musicales, car majoritairement elles donnent l’impression d’une structure circulaire en commençant et en finissant dans un même endroit, en fermant un cercle ou une spirale dont la dernière circonvolution s’arrête à la verticale du point initial.
Dans l’intimité de la musique
Sur une partition, les choses observables sont les rapports de durée et de hauteur (fréquences) exprimés à travers l’écriture musicale. Nous concernant, ils expriment des configurations et des différences énergétiques car à travers la voix et la mémoire du corps nos efforts varient pour se promener entre le grave et l’aigu, faire durer un son… Le fonctionnement « somatique » et « le pouvoir » de la musique est fondé sur le fait qu’avant tout, le discours musical est du temps organisé. Ainsi, il fait baisser la vigilance qui nous caractérise vis-à vis du temps car dans l’absence d’un organe apte à « sentir » le temps nous sommes obligés de surveiller et de nous adapter en permanence à l’évolution de l’espace : jour-nuit… Le temps fourni de façon organisé : les litanies, la danse de derviches, les prières et récitations répétitives… aperçu dans un climat de tranquillité nous rassure et provoque un état de plaisir indicible dû à la disparition relative du stress d’analyse et d’adaptation à la réalité. Au niveau du maniement du temps on peut observer quelques réalités primitives : une pulsation musicale rapide (autour de 120 par minute – le cœur est à 65 de moyenne) et un rythme riche et séquencé provoque un stress dans l’assimilation de l’information qui sera éliminé par le mouvement des doigts, des pieds, la danse car notre « entropie » veut rester stable – aucun désordre provoqué par une quelconque émotion positive ou négative. Au cas d’une pulsation lente (40 par minute) et un rythme plus pauvre et moins régulier nous sommes dans une baisse d’information. Pour combler le stress provoqué par ce manque et retrouver l’état initial, des souvenirs remonteront afin de compléter et de stabiliser le niveau « informationnel » précédent.
Pour les très jeunes, dont le passé n’est pas assez riche et confiné en souvenir, l’écoute des musiques lentes est difficile car elle fait remonter le traumatisme de la naissance dont l’accès est bloqué par les barrières psychiques provoquant ainsi un état conflictuel donc déplaisant. Des effets peuvent être obtenus en associant différemment des rythmes et des pulsations. A la dimension temporelle s’ajoute l’espace musical intimement lié à la mémoire du corps. Le cri ou sa transposition musicale, son aigu et fort, induit un état d’énervement semblable à celui qui l’a provoqué. Une voix dans le registre moyen-grave, éventuellement de femme, comme celle que l’on entend dans les aéroports nous rappelle un corps détendu et, pourquoi pas, la voix intra-utérine de la mère. En jouant avec les quatre configurations de la durée : pulsation rapide, pulsation lente, rythme riche, rythme pauvre, associées aux quatre configurations de la hauteur et de la puissance : aigu, grave, fort, faible et quelques états intermédiaires on peut définir certains schémas pour une très relative maîtrise de l’information musicale concernant le niveau général de la perception sonore et ses effets plaisants et/ou déplaisant… en sachant que l’essentiel du vécu musical dépend d’une multitude de facteurs culturels. Une vue rapide, conditionnée par la durée du cours, sur l’histoire de la musique me permet de préciser juste la relation époque-style-idée dominante à travers les âges de la musique :
La Préhistoire – séparation du langage parlé et musical par l’apparition des rythmes répétitifs qui amènent la danse et situent le phénomène sonore dans l’abstraction et la communication non verbale, fonction de mémoire collective et facteur d’identité et d’unité sociale tribale et générationnelle, tradition orale… ;
L’Antiquité – la beauté du corps et de l’âme est une vertu qu’il faut acquérir par l’exercice - trop riche et trop complexe, similaire à la société actuelle mérite un cours à part ;
Le Moyen Age – le salut de l’âme – « 2ème mondialisation » après l’empire romain à travers le chant grégorien et la nouvelle écriture musicale (la précédente, perdue et redécouverte aujourd’hui était grecque), découverte et paroxysme de la polyphonie (plus de 30 voix en même temps), les musiciens errants (troubadours, trouvères) et la musique profane;
La Renaissance – une place pour l’homme et ses préoccupations (modèle hellénistique), réduction de la polyphonie à 4-5 voix, apparition de l’harmonie et de la mélodie accompagnée, importation culturelle arabe due aux croisades, apparition de l’opéra, et de la musique instrumentale, séparations des genres : religieux, populaire, savant ;
Le Baroque – grande spiritualité sur fond de recherche philosophique et théologique entre la reforme et la contre-réforme, continuation et progrès de la musique profane, « l’imitation » et « la fugue » - procédé et forme majeures de la musique représentant l’omniprésence et l’unicité de Dieu à travers un seul motif musical que l’on décline dans plusieurs tonalités, rythmes et couleurs instrumentales ;


Le Classicisme – règne de l’équilibre et du dualisme manichéen, idée de justice autour du conflit bien-mal exprimé puissamment « Sturm und Drang » (tempête et passion) grâce à la présence définitive de la famille de violons et le perfectionnement des instruments à vent, et la forme de sonate = deux thèmes contrastés dont la première, plus dynamique, s’impose, formalisation du concerto et de la symphonie, domination de la tonalité et du piano ;
Le Romantisme – négation de l’esthétique précédente, formes musicales libres = le poème symphonique, prédominance de la musique profane, écoles nationales mettant la musique au service des idéologies (union nationale, indépendance… ) affirmation exagérée de « l’ego », personnalisation des langages, moins d’universalité, apparition d’un nouveau genre : la musique « de divertissement » telle l’opérette et la danse : valse, tango… ;
Le Modernisme – le commercial qui impose une nouvelle norme : l’originalité à tout prix, le refuge des artistes dans l’univers technologique et de la science dû à la désillusion et la méfiance concernant « l’humain, le sentiment et l’émotion » mis à mal par les deux guerres mondiales.

Et maintenant nous allons descendre et monter là où nous sommes tous et personne, là où les anges se rencontrent, là où la courbure du temps entoure l’indéfini, où le dernier sentiment, le ressenti de Dieu, nous enveloppe dans une des plus belles promesses d’éternité – écoutons L’hymne des Chérubins de la grande Liturgie de Saint Jean Chrysostome.

 

 

 

 

 

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